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pavés et par les baïonnettes, dévorait cette berline où huit personnes étaient entassées. Des flots de poussière, soulevés par les pieds de deux ou trois cent mille spectateurs, étaient le seul voile qui dérobât de temps en temps l’humiliation du roi et de la reine à la joie du peuple. La sueur des chevaux, l’haleine fiévreuse de cette multitude pressée et passionnée, raréfiaient et corrompaient l’atmosphère. L’air manquait à la respiration des voyageurs. Le front des deux enfants ruisselait de sueur. La reine, tremblant pour eux, baissa précipitamment un store de la voiture, et s’adressant à la foule pour l’attendrir : « Voyez, messieurs, dit-elle, dans quel état sont mes pauvres enfants ! nous étouffons ! — Nous t’étoufferons bien autrement, » lui répondirent à demi-voix ces hommes féroces.

De temps en temps, des irruptions violentes de la foule forçaient la haie, écartaient les chevaux, s’avançaient jusqu’aux portières, montaient sur les marchepieds. Des hommes implacables, regardant en silence le roi, la reine, le Dauphin, semblaient prendre la mesure des derniers crimes et se repaître de l’abaissement de la royauté. Des charges de gendarmerie rétablissaient momentanément l’ordre. Le cortége reprenait sa course au milieu du cliquetis des sabres et des clameurs des hommes renversés sous les pieds des chevaux. La Fayette, qui craignait des attentats et des embûches dans les rues de Paris, fit prévenir le général Dumas, commandant de l’escorte, de ne point traverser la ville. Il plaça des troupes, à rangs épais, sur le boulevard, depuis la barrière de l’Étoile jusqu’aux Tuileries. La garde nationale bordait la haie. Les gardes suisses étaient aussi en bataille, mais leur drapeau ne s’abaissait plus devant leur maître. Aucun honneur militaire