Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 9.djvu/134

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vait dans son sang et dans son orgueil assez de ressentiment contre ce peuple, pour lui rendre en mépris intérieur les insultes dont il la profanait. Madame Élisabeth implorait tout bas le secours d’en haut. Les deux enfants s’étonnaient de la haine de ce peuple qu’on leur avait dit d’aimer et qu’ils n’apercevaient que dans des accès de rage. Jamais l’auguste famille ne serait arrivée vivante dans Paris, si les commissaires de l’Assemblée, dont la présence imposait au peuple, ne fussent arrivés à temps pour intimider et pour gouverner cette sédition renaissante.

Les commissaires rencontrèrent les voitures du roi entre Dormans et Épernay. Ils lurent au roi et au peuple les ordres de l’Assemblée qui leur donnaient le commandement absolu des troupes et de la garde nationale sur toute la ligne, et qui leur enjoignaient de veiller non-seulement à la sécurité du roi, mais encore au maintien du respect dû à la royauté dans sa personne. Barnave et Pétion se hâtèrent de monter dans la berline du roi, pour partager ses périls et le couvrir de leur corps. Ils parvinrent à le préserver de la mort, mais non des outrages. La rage, éloignée des voitures, s’exerçait plus loin sur la route. Toutes les personnes suspectes d’attendrissement étaient lâchement outragées. Un ecclésiastique s’étant approché et montrant sur sa physionomie quelques signes de respect et de douleur, fut saisi par le peuple, renversé aux pieds des chevaux, et allait être immolé sous les yeux de la reine. Barnave, par un mouvement sublime, s’élança le corps tout entier hors de la portière : « Français, s’écria-t-il, nation de braves, voulez-vous donc devenir un peuple d’assassins ? » Madame Élisabeth, frappée d’admiration pour l’acte courageux de Barnave et craignant qu’il ne se précipitât sur la foule et