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rier envoyé à Paris par la municipalité de Varennes pour prendre les ordres de l’Assemblée n’était parti qu’à trois heures du matin. Il lui fallait vingt heures pour se rendre à Paris, autant pour le retour. Le temps de convoquer l’Assemblée et de délibérer ne pouvait prendre moins de trois ou quatre heures encore. C’était donc près de quarante-huit heures que M. de Bouillé avait d’avance sur les ordres de Paris.

D’ailleurs, dans quel état serait Paris ? que s’y serait-il passé à l’annonce inattendue de l’évasion du roi ? La terreur ou le repentir n’avait-il pas saisi les esprits ? L’anarchie n’aurait-elle pas renversé les faibles digues qu’une assemblée anarchique elle-même aurait cherché à lui opposer ? Le cri : « À la trahison ! » n’aurait-il pas été le premier tocsin du peuple ? M. de La Fayette n’était-il pas massacré comme un traître ? la garde nationale n’était-elle pas désorganisée ? Les bons citoyens n’avaient-ils pas repris le dessus à la faveur de cette consternation subite des factieux ? Qui donnerait les ordres ? qui les exécuterait ? La nation, désarmée et tremblante, ne tomberait-elle peut-être pas aux pieds de son roi ? Telles étaient les chimères, dernières flatteries des infortunes royales, dont on se repaissait, pendant cette nuit fatale, dans la chambre étroite et brûlante où toute la famille royale était entassée.

Le roi avait pu communiquer librement avec plusieurs officiers des détachements. M. de Goguelat, M. de Damas, M. de Choiseul, avaient pénétré jusqu’à lui. Le procureur-syndic et les officiers municipaux de Varennes montraient des égards et de la pitié au roi, même dans l’exécution de ce qu’ils croyaient leur devoir. Le peuple ne passe pas soudainement du respect à l’outrage. Il y a un moment d’indé-