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toujours la moyenne exacte entre l’idéal et la pratique. Il met la raison à la portée des mœurs, et les institutions en rapport avec les habitudes. Il veut un trône pour appuyer la démocratie ; il veut la liberté dans les chambres, et la volonté de la nation, une et irrésistible, dans le gouvernement. Le caractère de son génie, tant défini et tant méconnu, est encore moins l’audace que la justesse. Il a sous la majesté de l’expression l’infaillibilité du bon sens. Ses vices mêmes ne peuvent prévaloir sur la netteté et sur la sincérité de son intelligence. Au pied de la tribune, c’est un homme sans pudeur et sans vertu ; à la tribune, c’est un honnête homme. Livré à ses déportements privés, marchandé par les puissances étrangères, vendu à la cour pour satisfaire ses goûts dispendieux, il garde dans ce trafic honteux de son caractère l’incorruptibilité de son génie. De toutes les forces d’un grand homme sur son siècle, il ne lui manqua que l’honnêteté. Le peuple n’est pas une religion pour lui, c’est un instrument ; son Dieu à lui, c’est la gloire ; sa foi, c’est la postérité ; sa conscience n’est que dans son esprit, le fanatisme de son idée est tout humain, le froid matérialisme de son siècle enlève à son âme le mobile, la force et le but des choses impérissables. Il meurt en disant : « Enveloppez-moi de parfums et couronnez-moi de fleurs pour entrer dans le sommeil éternel. » Il est tout du temps ; il n’imprime à son œuvre rien d’infini. Il ne sacre ni son caractère, ni ses actes, ni ses pensées, d’un signe immortel. S’il eût cru en Dieu, il serait peut-être mort martyr, mais il aurait laissé après lui la religion de la raison et le règne de la démocratie. Mirabeau, en un mot, c’est la raison d’un peuple, ce n’est pas encore la loi de l’humanité.