Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 8.djvu/432

Cette page a été validée par deux contributeurs.

armes, des tapis, des harnais et des chevaux pour plus de vingt mille francs de valeur. À mon retour, un éditeur illustre me paya quatre-vingt mille francs environ les notes que je n’avais pas écrites à son intention. Il en résulte qu’en réalité ce voyage ruineux ne m’a rien coûté, et que j’ai vécu convenablement deux ans sans toucher même aux revenus de mes terres en France. Il faut donc chercher ailleurs les causes de cette décadence de ma fortune, qui me force avec tant de douleur à me séparer de souvenirs chers à mon cœur, et à retourner peut-être en Orient, pour réparer, par le travail agricole, la condition de ceux qui vivront de moi après moi. La vie politique est plus chère que la vie nomade et poétique : voilà le secret.

Lady Esther Stanhope m’avait prédit qu’après avoir été mêlé involontairement à de grands événements dans mon pays, je retournerais en Orient pour d’autres pensées. Je mentirais si je disais que ces pensées sont de faire pousser seulement un peu plus d’orge, de froment, ou de soie ou de coton, aux vieux sillons de cette terre. J’ai d’autres pensées, je ne m’en cache pas, je les dirai tout haut à leur heure. Je ne crois pas que ce soient les prédictions de lady Stanhope qui aient fait éclore d’un accident la république française de 1848, et qui, après m’avoir élevé par hasard et précipité par caprice, m’entraînent aujourd’hui en Orient. Non, la véritable prédiction de la destinée d’un homme, c’est la pente de son esprit. Je l’ai dit en commençant ces volumes, la pente de mon esprit a toujours été vers ces climats. Mon imagination est de la même eau que cette mer et ce ciel ; ma philosophie est de la même source que ces rayons. Dieu est plus visible là-bas qu’ici : c’est pour-