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odyssée comme jamais calife n’aurait payé un poëme d’Antar, et qui avait rendu son nom célèbre parmi les Francs, mais encore voir cet émir Frengi, dont les drogmans et les cawas de Latakieh lui avaient si souvent parlé. L’imagination orientale est inflammable et féerique comme le sable de ses mirages. Il m’a suffi de traverser la Syrie au galop de beaux chevaux arabes, dans le tourbillon d’une escorte éclatante d’armes et de costumes, en jetant quelques milliers de piastres sur mon passage, pour y laisser un long reflet d’éblouissement et de magnificence. On parle encore de l’émir Frengi, de Bayruth à Jérusalem.

Je fus l’hôte de Fatalla pendant quelques-uns des jours qu’il passa à Paris. Le soir, assis au coin de mon feu, il allumait un des longs chibouques que j’ai rapportés de son pays, et nous causions ensemble longuement des nouvelles et des histoires du désert. C’était une veillée de caravane transportée dans un salon de Paris. Le souvenir est l’incantation du voyageur : la mémoire a, comme l’eau, ses méandres et ses reflets. Il suffit d’une parole ou d’un nom jeté dans le cours d’un entretien, pour dérouler des cercles indéfinis d’horizons, de sites, de villes, de paysages autrefois effleurés, et qu’on croyait à jamais effacés de ses yeux et de son esprit. Je repassai en quelques soirées avec Fatalla tous les sentiers, tous les campements, toutes les haltes, toutes les hospitalités, toutes les rencontres, toutes les contemplations, tous les ravissements, toutes les amitiés d’homme ou de tribu de mon voyage en Orient. Ses réponses évoquaient mes questions, ses récits complétaient les miens ; il fut le drogman de mon souvenir. Je l’interrogeai surtout sur les scheiks et les tribus du grand désert de