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qui étaient présents. Son fils Sahep ne voulut pas se mettre à table ; mais, pressé par son père, il demanda qu’on lui remît sa portion, et il la porta à sa jument, disant qu’il aimait mieux souffrir lui-même que de la voir manquer de nourriture.

Nous étions au trente-septième jour depuis le commencement de la guerre ; le trente-huitième, le combat fut terrible. Le camp des Osmanlis fut pris et saccagé : le pacha eut à peine le temps de rentrer dans Hama, poursuivi par les Wahabis, qui y mirent le siége.

La défaite des Turcs nous était d’autant plus funeste, qu’elle laissait le second corps d’armée de l’ennemi, commandé par le fameux nègre Abou-Nocta, libre de se joindre à Abdallah pour nous attaquer de concert. Le lendemain, commença une lutte affreuse : les Bédouins étaient tellement mêlés, qu’on ne distinguait plus rien. Ils s’attaquaient corps à corps avec le sabre ; la plaine entière ruisselait de sang, la couleur du terrain avait totalement disparu ; jamais, peut-être, il n’y eut pareille bataille : elle dura huit jours sans discontinuer. Les habitants de Hama, persuadés que nous étions tous exterminés, ne nous envoyaient plus ces rares provisions qui, de loin en loin, nous avaient préservés de mourir de faim. Enfin, le drayhy, voyant le mal à son comble, assemble les chefs et dit :

« Mes amis, il faut tenter un dernier effort. Demain il faut vaincre ou mourir. Demain, si Dieu le permet, je détruirai le camp ennemi : demain nous nous gorgerons de ses dépouilles. »