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Nul ne croyait qu’il pût résister une demi-heure à son redoutable adversaire, que son armure rendait invulnérable ; mais s’il ne lui porta pas de coups bien meurtriers, il sut, avec une adresse merveilleuse, éviter les siens pendant deux heures que dura la lutte. Tout était en suspens. Le plus vif intérêt se manifestait de part et d’autre. À la fin, notre champion tourne bride et paraît fuir. Tout espoir est désormais perdu ; l’ennemi va proclamer son triomphe. Le Wahabi le poursuit, et, d’une main affermie par la confiance du succès, lui jette sa lance ; mais Téhaisson, prévoyant le coup, se baisse jusqu’à l’arçon de la selle, et l’arme passe en sifflant au-dessus de sa tête : alors, se retournant brusquement, il enfonce son fer dans la gorge de son adversaire, profitant de l’instant où celui-ci, forcé d’arrêter subitement son cheval devant le sien, lève la tête. Ce mouvement laissant un intervalle, entre le casque et la cuirasse, au-dessous du menton, la lance traversa de part en part, et le tua roide ; mais, maintenu en selle par son armure, le cadavre fut emporté par le cheval jusqu’au milieu des siens, et Téhaisson revint triomphant à la tente du drayhy, où il fut reçu avec enthousiasme. Tous les chefs l’embrassèrent, le comblant d’éloges et de présents, et Scheik-Ibrahim ne fut pas un des derniers à lui témoigner sa reconnaissance.

Cependant la guerre et la famine duraient toujours : nous restâmes deux jours sans rien manger sous la tente du drayhy. Le troisième, il reçut trois couffes de riz que Mola-Ismaël, chef des Dalatis, lui envoyait en cadeau. Au lieu de le ménager comme une dernière ressource, il donna ordre de le faire cuire en totalité, et engagea à souper tous ceux