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rages sont très-abondants. — Ayant ainsi rafraîchi les troupeaux, nous continuâmes notre route vers le levant.

Nous rencontrâmes un jour un Bédouin monté sur un beau dromadaire noir. Les scheiks le saluèrent avec un air d’intérêt, et lui demandèrent quelle avait été l’issue de sa malheureuse aventure de l’année précédente. Je me fis raconter son histoire, et je la trouvai assez intéressante pour l’insérer dans mon journal. Aloïan (c’était le nom du Bédouin), étant à la chasse des gazelles, arriva sur un terrain où des lances brisées, des sabres ensanglantés, et des corps gisants, indiquaient une bataille récente. — Un son plaintif qui parvenait à peine à son oreille l’attira vers un monceau de cadavres, au milieu duquel un jeune Arabe respirait encore. Aloïan se hâte de le secourir, l’emporte sur son dromadaire, le conduit à sa tente, et, par ses soins paternels, le ramène à la vie. Après quatre mois de convalescence, Faress (c’était le nom du blessé) parle de son départ ; mais Aloïan lui dit : « S’il faut absolument nous séparer, je te conduirai jusqu’à ta tribu et je t’y laisserai avec regret ; mais si tu veux rester avec moi, tu seras comme mon frère ; ma mère sera ta mère, ma femme sera ta sœur. Réfléchis à ma proposition, et décide avec calme. — Ô mon bienfaiteur ! répond Faress, où trouverai-je des parents comme ceux que vous m’offrez ? Sans vous je ne serais pas vivant à cette heure ; ma chair serait mangée par les oiseaux de proie, et mes os dévorés par les bêtes féroces. Puisque vous voulez bien me garder, je demeurerai avec vous, mais pour vous servir toute ma vie. »

Un motif moins pur qu’il n’avait osé avouer avait décidé