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vée. L’émir manquait de secrétaire, j’offris de lui en servir pour le moment, et je gagnai bientôt sa confiance par les avis et les renseignements que j’étais à même de lui donner sur les tribus que j’avais étudiées. Lorsque je lui parlai de mon affaire, il me témoigna tant de regret de me voir partir, que je semblai céder à ses instances. — Il me dit : « Si vous voulez rester avec moi, vous serez comme mon fils ; tout ce que vous direz sera fait. » Je profitai de cette confiance pour l’engager à passer l’Euphrate, afin de le rapprocher de Scheik-Ibrahim ; je lui fis envisager tout ce qu’il pouvait y gagner en influence sur les tribus du pays, en les détachant de Nasser ; je lui représentai tous les cadeaux qu’ils seraient forcés de lui offrir, la terreur qu’il inspirerait aux Osmanlis, et le tort qu’il ferait à ses ennemis en consommant leurs pâturages. Comme c’était la première fois qu’il quittait le désert de Bagdad pour venir en Mésopotamie, mes conseils et mes renseignements lui étaient d’une grande ressource, et il les suivit.

Le départ était superbe à voir : les cavaliers en avant, sur des chevaux de race ; les femmes dans des haudags magnifiquement drapés, sur des dromadaires, entourées d’esclaves négresses. Des hommes chargés de provisions parcouraient toute la caravane, criant : « Qui a faim ? » et distribuant du pain, des dattes, etc. Toutes les trois heures on faisait halte pour prendre le café, et, le soir, les tentes étaient dressées comme par enchantement. Nous suivions les bords de l’Euphrate, dont les eaux transparentes brillaient comme de l’argent ; j’étais moi-même monté sur une jument de pur sang, et tout le voyage me parut comme une marche triomphale, qui contrastait fortement avec la route