Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 8.djvu/13

Cette page a été validée par deux contributeurs.

fait naître Kara-George en France, mais elle n’a rien de vraisemblable. Pétroni emmena son fils, encore enfant, dans les montagnes de Topoli. L’insurrection de 1787, que l’Autriche devait appuyer, ayant eu un succès funeste, les insurgés, poursuivis par les Turcs et les Bosniaques, furent obligés de prendre la fuite. Pétroni et George son fils, qui avaient déjà vaillamment combattu, rassemblèrent leurs troupeaux, leur seule richesse, et se dirigèrent vers la Save ; ils touchaient déjà à cette rivière, et allaient trouver leur salut sur le territoire autrichien, quand le père de Kara-George, vieillard affaibli par les années, et plus enraciné que son fils dans le sol de la patrie, se retourna, regarda les montagnes où il laissait toutes les traces de sa vie, sentit son cœur se fendre à l’idée de les quitter à jamais pour passer chez un peuple inconnu, et, s’asseyant sur la terre, conjura son fils de se soumettre, plutôt que de passer en Allemagne. Je regrette de ne pouvoir rendre de mémoire les touchantes et pittoresques supplications du vieillard, telles qu’elles sont chantées dans les strophes populaires de la Servie. C’est une de ces scènes où les sentiments de la nature, si vivement éprouvés et si naïvement exprimés par le génie d’un peuple enfant, surpassent tout ce que l’invention des peuples lettrés peut emprunter à l’art. La Bible et Homère ont seuls de ces pages.

Cependant Kara-George, attendri d’abord par les regrets et les prières de son père, avait fait rebrousser chemin à ses serviteurs et à ses troupeaux. Dévoué à ce devoir rigoureux d’obéissance filiale, seconde religion des Orientaux, il courbait la tête sous la voix de son père, et allait reprendre tristement la route de l’esclavage, pour que les os