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bardes du moyen âge ; ses fonctions consistent à chanter les vertus et les exploits de son maître, à lui composer des histoires quand il l’appelle pour le désennuyer, à rester debout derrière lui pendant les repas pour improviser des vers, espèces de toasts politiques en son honneur ou en l’honneur des convives que le prince veut distinguer. Il y a aussi un chapelain ou confesseur maronite catholique qui ne le quitte jamais, même à table, et à qui seul l’entrée du harem est permise : c’est un moine à figure joviale et guerrière, tout à fait semblable à ce que nous entendons par aumônier de régiment. Le chapelain, à cause de son caractère ecclésiastique, est assis à table ; le poëte reste debout. Ces princes, et surtout l’aîné, ne paraissent nullement embarrassés de nos usages, ni de la présence des femmes européennes. Ils causent tour à tour avec nous, avec la même grâce de manières, le même à-propos, la même liberté d’esprit, que s’ils avaient été nourris dans la cour la plus élégante de l’Europe. La civilisation orientale est toujours au niveau de notre civilisation, parce qu’elle est plus vieille, et originairement plus pure et plus parfaite. À un œil sans préjugé, il n’y a pas de comparaison entre la noblesse, la décence, la grâce sévère des mœurs arabes, turques, indiennes, persanes, et les nôtres. On sent en nous les peuples jeunes, sortant à peine de civilisations dures, grossières, incomplètes : on sent en eux les enfants de bonne maison, les peuples héritiers de la sagesse et de la vertu antiques. Leur noblesse, qui n’est que la filiation des vertus primitives, est écrite sur leurs fronts et empreinte dans toutes leurs coutumes ; et puis il n’y a pas de peuple parmi eux. La civilisation morale, la seule dont je tienne compte, est partout de niveau. Le pasteur et l’émir sont de même famille,