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La pluie ne tombe pas, comme en Occident, par gouttes plus ou moins pressées, mais par ruisseaux continus et lourds, qui frappent et pèsent sur l’homme et le cheval comme la main de la tempête. Le jour a complètement disparu ; nos chevaux marchent dans des torrents mêlés de pierres roulantes, et sont à chaque instant près d’être entraînés dans la mer. Quand le ciel se relève et reparaît, nous nous trouvons aux bords du plateau des pins de Fakardin, à une demi-lieue de la ville.

La patrie est quelque chose pour les animaux comme pour les hommes ; ceux de mes chevaux qui reconnaissent ce site pour nous y avoir portés souvent, quoique accablés de trois cents lieues de route, hennissent, dressent leurs oreilles, et bondissent de joie sur le sable. Je laisse la caravane défiler lentement sous les pins ; je lance Liban au galop, et j’arrive, le cœur tremblant d’inquiétude et de joie, dans les bras de ma femme. Julia était à s’amuser dans une maison voisine avec les filles du prince de la montagne, devenu gouverneur de Bayruth pendant mon absence : elle m’a vu accourir du haut de la terrasse ; je l’entends qui accourt elle-même en disant : « Où est-il ? Est-ce bien lui ? » Elle entre, elle se précipite dans mes bras, elle me couvre de caresses, puis elle court autour de la chambre, ses beaux yeux tout brillants de larmes de joie, élevant ses bras et répétant : « Oh ! que je suis contente ! oh ! que je suis contente ! » et revient s’asseoir sur mes genoux et m’embrasser encore. Il y avait dans la chambre deux jeunes pères jésuites du Liban en visite chez ma femme ; je n’ai pu de longtemps leur adresser un mot de politesse : muets eux-mêmes devant cette expression naïve et passionnée de la tendresse d’âme