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poëme, était un esclave nègre qui conquit sa liberté par ses exploits et ses vertus, et obtint sa maîtresse Abla à force d’amour et d’héroïsme.

Le poëme d’Antar n’est pas, comme celui d’Homère, écrit entièrement en vers ; il est en prose poétique de l’arabe le plus pur et le plus classique, entrecoupée de vers. Ce qu’il y a de singulier dans ce poëme, c’est que la partie du récit écrite en prose est infiniment supérieure aux fragments lyriques qui y sont intercalés. La partie poétique y sent la recherche, l’affectation et la manière des littératures en décadence ; rien au contraire n’est plus simple, plus naturel, plus véritablement passionné, que le récitatif. Tout ce que j’ai lu de poésies arabes, antiques ou modernes, participe plus ou moins de cette malheureuse recherche de la poésie d’Antar : ce sont, sinon des jeux de mots, du moins des jeux d’idée, des jeux d’images, plutôt faits pour amuser l’esprit que pour toucher le cœur. Il faut des siècles à l’art pour arriver à l’expression simple et sublime de la nature. Pour les Arabes, les vers ne sont encore qu’un ingénieux mode de badiner avec leur esprit ou avec leurs sentiments. J’excepte quelques poésies religieuses écrites, il y a environ trente ans, par un évêque maronite du mont Liban : j’en rapporte quelques fragments dignes des lieux qui les ont inspirées, et des sujets sacrés auxquels ce pieux cénobite avait exclusivement consacré son mâle génie. Ces poésies religieuses sont plus solennelles et plus intimes qu’aucune de celles que je connaisse en Europe ; il y reste quelque chose de l’accent de Job, de la grandeur de Salomon et de la mélancolie de David.