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Quand je reviens le soir de Constantinople en caïque, et que je longe les bords de la côte d’Europe au clair de la lune, il y a une chaîne, d’une lieue, de femmes et de jeunes filles et d’enfants, assises en silence, par groupes, sur les bords du quai de granit, ou sur les parapets des terrasses des jardins : elles passent là des heures délicieuses à contempler la mer, les bois, la lune, à respirer le calme de la nuit. Notre peuple ne sent plus rien de ces voluptés naturelles : il a usé ses sensations ; il lui faut des plaisirs factices, et il n’y a que des vices pour l’émouvoir. Ceux chez qui la nature parle encore assez haut pour être comprise et adorée sont les rêveurs et les poëtes : misérables à qui la voix de Dieu dans ses œuvres, la nature, l’amour, et la contemplation silencieuse, suffisent.

Je retrouve à Buyukdéré et à Thérapia plusieurs personnes de ma connaissance ; parmi les Russes et les diplomates, le comte Orloff, M. de Boutenieff, ambassadeur de Russie à Constantinople, homme charmant et moral, philosophe et homme d’État. Le baron de Sturmer, internonce d’Autriche, me comble de bontés. Nouvelles politiques de l’Europe. C’est ici le point important maintenant. Les Russes, campés en Asie et à l’ancre sous nos fenêtres, se retireront-ils ? Pour moi, je n’en doute pas. On n’est pas pressé de saisir une proie qui ne peut échapper. Le comte Orloff me faisait lire hier une lettre admirable que l’empereur Nicolas lui écrit. Voici le sens : « Mon cher Orloff, quand la Providence a placé un homme à la tête de quarante millions d’hommes, c’est pour qu’il donne de plus haut au monde l’exemple de la probité et de la fidélité à sa parole. Je suis cet homme. Je veux être digne de la mission