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ruine de son trône et de son empire ; s’abandonnant à la fin à lui-même ; se hâtant d’user dans les voluptés du Bosphore sa part d’existence et son ombre de souveraineté. Homme de bon désir et de volonté droite, mais homme de génie insuffisant et de volonté trop faible : semblable à ce dernier des empereurs grecs dont il occupe la place ; digne d’un autre peuple et d’un meilleur temps, et capable de mourir au moins en héros. Il fut un jour grand homme.

L’histoire n’a pas de pages comparables à celles de la destruction des janissaires ; c’est la révolution la plus fortement méditée et la plus héroïquement accomplie dont je connaisse un exemple. Mahmoud emportera cette page ; mais pourquoi est-elle la seule ? Le plus difficile était fait ; les tyrans de l’empire abattus, il ne fallait que de la volonté et de la suite pour vivifier cet empire en le civilisant. Mahmoud s’est arrêté. Serait-ce que le génie est plus rare encore que l’héroïsme ?

Après le palais de Beglierbeg, la côte d’Asie redevient boisée et solitaire jusqu’à Scutari, qui brille, comme un jardin de roses à l’extrémité d’un cap, à l’entrée de la mer de Marmara. Vis-à-vis, la pointe verdoyante du sérail se présente à l’œil ; et entre la côte d’Europe, couronnée de ses trois villes peintes, et la côte de Stamboul, tout éclatante de ses coupoles et de ses minarets, s’ouvre l’immense port de Constantinople, où les navires, mouillés sur les deux rives, ne laissent qu’une large rue aux caïques. Je glisse, à travers ce dédale de bâtiments, comme la gondole vénitienne sous l’ombre des palais, et je débarque à l’échelle des Morts, sous une avenue de cyprès.