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plus délicats, rappellent la beauté calme des Anglaises ou des paysannes des montagnes de l’Helvétie, sont admirables ; les enfants de même. Les caïques en sont pleins. Ils rapportent de leurs maisons de campagne des corbeilles de fleurs étalées sur la proue.

Nous commençons à tourner la pointe de Tophana, et à glisser à l’ombre des grands vaisseaux de guerre de la flotte ottomane, mouillée sur la côte d’Europe. Ces énormes masses dorment là comme sur un lac. Les matelots, vêtus, comme les soldats turcs, de vestes rouges ou bleues, sont nonchalamment accoudés sur les haubans, ou se baignent autour de la quille. De grandes chaloupes chargées de troupes vont et viennent de la terre aux vaisseaux ; et les canots élégants du capitan-pacha, conduits par vingt rameurs, passent comme la flèche à côté de nous. L’amiral Tahir-Pacha et ses officiers sont vêtus de redingotes brunes et coiffés du fez, grand bonnet de laine rouge qu’ils enfoncent sur leurs fronts et sur leurs yeux, comme honteux d’avoir dépouillé le noble et gracieux turban. Ces hommes ont l’air mélancolique et résigné ; ils fument leurs longues pipes à bout d’ambre. Il y a là une trentaine de bâtiments de guerre d’une belle construction, et qui semblent prêts à mettre à la voile ; mais il n’y a ni officiers ni matelots, et cette flotte magnifique n’est qu’une décoration du Bosphore. Pendant que le sultan la contemple de son kiosque de Beglierbeg, situé vis-à-vis, sur la côte d’Asie, les deux ou trois frégates d’Ibrahim-Pacha possèdent en paix la Méditerranée, et les barques de Samos dominent l’Archipel. À quelques pas de ces vaisseaux, sur la rive d’Europe que je suis, je glisse sous les fenêtres d’un long et magnifique palais du sultan,