Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 7.djvu/377

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

voile. Les caïques, comme des oiseaux d’eau qui nagent tantôt en groupe, tantôt isolément sur le canal, se croisent en tout sens, allant de l’Europe à l’Asie, ou de Péra à la pointe du sérail. Quelques grands vaisseaux de guerre passent à pleines voiles, débouchent du Bosphore, saluent le sérail de leurs bordées, dont la fumée les enveloppe un instant comme des ailes grises ; puis en sortent resplendissant de la blancheur de leur toile, et doublent, en paraissant les toucher, les hauts cyprès et les larges platanes du jardin du Grand Seigneur, pour entrer dans la mer de Marmara. D’autres bâtiments de guerre (c’est la flotte entière du sultan) sont mouillés, au nombre de trente ou quarante, à l’entrée du Bosphore ; leurs masses immenses jettent une ombre sur les eaux du côté de terre ; on n’en aperçoit en entier que cinq ou six ; la colline et les arbres cachent une partie des autres, dont les flancs élevés, les mâts et les vergues, qui semblent entrelacés avec les cyprès, forment une avenue circulaire qui fuit vers le fond du Bosphore. Là, les montagnes de la côte opposée ou de la rive d’Asie forment le fond du tableau : elles s’élèvent plus hautes et plus vertes que celles de la rive d’Europe ; des forêts épaisses les couronnent, et glissent dans les gorges qui les échancrent ; leurs croupes, cultivées en jardins, portent des kiosques solitaires, des galeries, des villages, de petites mosquées toutes cernées de rideaux de grands arbres ; leurs anses sont pleines de bâtiments mouillés, de caïques à rames, de petites barques à voiles. La grande ville de Scutari s’étend à leurs pieds sur une large marge, dominée par leurs cimes ombragées, et enceinte de sa noire forêt de cyprès. Une file non interrompue de caïques et de barques chargées de soldats asiatiques, de chevaux ou de Grecs cultivateurs ap-