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ses troupeaux, répandant son peuple dans l’Asie Mineure, s’avançant successivement jusqu’à Brousse, mourant entre les bras de ses fils devenus ses lieutenants, et disant à Orchan :

« Je meurs sans regret, puisque je laisse un successeur tel que toi ! Va propager la loi divine, la pensée de Dieu, qui est venu nous chercher de la Mecque au Caucase ; sois charitable et clément comme elle : c’est ainsi que les princes attirent sur leur nation la bénédiction de Dieu ! Ne laisse pas mon corps dans cette terre, qui n’est pour nous qu’une route ; mais dépose ma dépouille mortelle dans Constantinople, à la place que je m’assigne moi-même en mourant. »

Quelques années plus tard, Orchan, fils d’Othman, était campé à Scutari, sur ces mêmes collines que tache de noir le bois de cyprès. L’empereur grec Cantacuzène, vaincu par la nécessité, lui donnait la belle Théodora, sa fille, pour cinquième épouse dans son sérail. La jeune princesse traversait, au son des instruments, ce bras de mer où je vois flotter aujourd’hui les vaisseaux russes, et allait, comme une victime, s’immoler inutilement, pour prolonger de peu de jours la vie de l’empire. Bientôt les fils d’Orchan s’approchent du rivage, suivis de quelques vaillants soldats ; ils construisent, en une nuit, trois radeaux soutenus par des vessies de bœuf gonflées d’air ; ils passent le détroit, à la faveur des ténèbres ; les sentinelles grecques sont endormies. Un jeune paysan, sortant à la pointe du jour pour aller au travail, rencontre les Ottomans égarés, et leur indique l’entrée d’un souterrain qui conduit dans l’intérieur