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la poésie ; il vécut misérable et aveugle comme ces incarnations des Indes, qui traversaient le monde sous des habits de mendiants, et qu’on ne reconnaissait pour dieux qu’après leur passage. L’érudition moderne affecte de ne pas voir un homme, mais un type, dans Homère ; c’est un des cent mille paradoxes savants avec lesquels les hommes essayent de combattre l’évidence de leur instinct intime : pour moi, Homère est un seul homme, un homme qui a le même accent dans la voix, les mêmes larmes dans le cœur, les mêmes couleurs dans la parole ; admettre une race d’hommes homériques me paraît plus difficile que d’admettre une race de géants ; la nature ne jette pas ses prodiges par séries ; elle fait Homère, et défie les siècles de reproduire un si parfait ensemble de raison, de philosophie, de sensibilité et de génie.

Je descends à Smyrne pour parcourir la ville et les environs avec M. Salzani, banquier et négociant de Smyrne, homme aussi bienveillant qu’aimable et instruit ; pendant trois jours j’abuse de sa bonté ; nous revenons tous les jours coucher à bord de notre brick. Smyrne ne répond en rien à ce que j’attends d’une ville d’Orient ; c’est Marseille sur la côte de l’Asie Mineure ; vaste et élégant comptoir où les consuls et les négociants européens mènent la vie de Paris et de Londres ; la vue du golfe et de la ville est belle du haut des cyprès de la montagne. En redescendant, nous trouvons au bord du fleuve, que j’aime à prendre pour le Mélès, un site charmant, non loin d’une porte de la ville ; c’est le pont des Caravanes : le fleuve est un ruisseau limpide, et dormant sous la voûte paisible des sycomores et des cyprès ; on s’assied sur ses bords, et des Turcs nous appor-