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ces peuples naïfs ressemble à la crédulité des enfants ; le récit de tout ce qui est merveilleux les charme, et n’excite aucune défiance dans leur esprit.

» Un Arabe de nos amis, homme de beaucoup d’intelligence et de savoir, nous a souvent assuré, avec l’accent de la conviction, qu’un scheik du Liban possédait le secret des paroles magiques qui avaient été employées dans les temps primitifs pour remuer les blocs gigantesques de Balbek, mais qu’il était trop bon chrétien pour jamais s’en servir ou pour les divulguer. — Nous pressons le pas de nos chevaux et nous rejoignons bientôt la procession : au centre était la bière portée sur un brancard, cachée sous de riches draperies, et surmontée du turban des Osmanlis ; des femmes arabes, nues jusqu’à la ceinture, leurs longs cheveux noirs flottant sur les épaules, le sein meurtri, les bras en l’air, précédaient le corps, jetant des cris, chantant des chants lugubres, se tordant les mains et s’arrachant les cheveux ; des musiciens jouant du raubé et du dahiéré[1] accompagnaient les voix d’un roulement continu et monotone. — À la tête de la procession marchait le frère du défunt ; son cheval, couvert de belles peaux d’angora, orné de glands rouges et or qui se balançaient sur la tête et sur le poitrail, se cabrait parfois aux sons de cette musique discordante ; des prêtres en grand costume attendaient le cortége devant la porte d’un tombeau surmonté d’une coupole que soutenait une colonnade à jour ; — vis-à-vis se trouvait l’église ruinée, dont le toit en terrasse était couvert de femmes drapées de longs voiles blancs, semblables aux prêtresses des sacri-

  1. Sorte de grosse caisse et de tambourin.