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Liban parce que je l’avais acheté dans ces montagnes, était un jeune et superbe étalon, grand, fort, courageux, infatigable et sage, et à qui je n’ai jamais reconnu l’ombre d’un vice pendant quinze mois que je l’ai monté ; mais il avait sur le poitrail, dans la disposition accidentelle de son beau poil gris cendré, un de ces épis que les Arabes ont mis au nombre des signes funestes. J’en avais été prévenu en l’achetant ; mais je l’avais acquis par ce raisonnement bien simple et à leur portée, qu’un signe funeste pour un mahométan était un signe favorable pour un chrétien. Ils n’avaient trouvé rien à répondre, et je montais Liban toutes les fois que j’avais à faire des journées de route plus longues ou plus mauvaises que les autres. Lorsque nous approchions d’une ville ou d’une tribu, et que l’on venait au-devant de la caravane, les Arabes ou les Turcs, frappés de la beauté et de la vigueur de Liban, commençaient par me faire compliment et par l’admirer avec l’œil de l’envie ; mais, après quelques moments d’admiration, le signe fatal, qui était cependant un peu couvert par le collier de soie et l’amulette suspendus au cou, que tout cheval porte toujours, venait à se découvrir ; et les Arabes, s’approchant de moi, changeaient de figure, prenaient l’air grave et affligé, et me faisaient signe de ne plus monter ce cheval. Cela était peu important en Syrie ; mais dans la Judée et dans les tribus du désert, je craignais que cela ne portât atteinte à ma considération, et ne détruisît le respect et le prestige d’obéissance qui nous entouraient. Je cessai donc de le monter, et on le menait en main à ma suite. Je ne doute pas que nous n’ayons dû une grande part de la déférence et de la crainte dont nous fûmes environnés, à la beauté des douze ou quinze chevaux arabes que nous montions ou qui nous sui-