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dessus des deux montagnes qui l’étranglaient ainsi, on apercevait à l’horizon comme un lac d’un bleu plus sombre que le ciel : c’était un morceau de la mer de Syrie, encadré par un golfe fantastique d’autres montagnes du Liban ; ce golfe était à vingt lieues de nous, mais la transparence de l’air nous le montrait comme à nos pieds, et nous distinguions même deux navires à la voile qui, suspendus entre le bleu du ciel et celui de la mer, et diminués par la distance, ressemblaient à deux cygnes planant dans notre horizon. Ce spectacle nous saisit tellement d’abord, que nous n’arrêtâmes nos regards sur aucun détail de la vallée ; mais quand le premier éblouissement fut passé, et que notre œil put percer à travers la vapeur flottante du soir et des eaux, une scène d’une autre nature se déroula peu à peu devant nous.

À chaque détour du torrent où l’écume laissait un peu de place à la terre, un couvent de moines maronites se dessinait, en pierres d’un brun sanguin, sur le gris du rocher, et sa fumée s’élevait dans les airs entre des cimes de peupliers et de cyprès. Autour des couvents, de petits champs, conquis sur le roc ou le torrent, semblaient cultivés comme les parterres les plus soignés de nos maisons de campagne ; et, çà et là, on apercevait ces Maronites, vêtus de leur capuchon noir, qui rentraient du travail des champs, les uns avec la bêche sur l’épaule, les autres conduisant de petits troupeaux de poulains arabes, quelques-uns tenant le manche de la charrue et piquant leurs bœufs, entre les mûriers. Plusieurs de ces demeures de prières et de travail étaient suspendues, avec leurs chapelles et leurs ermitages, sur les caps avancés des deux immenses chaînes de mon-