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amenée habilement sur nos chevaux mutuels, il fait l’éloge de plusieurs des miens. Je lui propose de changer le sien contre le cheval turcoman ; nous débattons toute la soirée sur le surplus à donner par moi : rien ne se décide encore. À chaque fois que j’arrive à son prix, il témoigne une si grande douleur de se détacher de son cheval, que nous allons nous coucher sans conclure. Le lendemain, au moment du départ, tous les chevaux déjà bridés et montés, je lui fais encore quelques avances. Il se détermine enfin à monter lui-même mon cheval turcoman, il le galope à travers la plaine : séduit par les brillantes qualités de l’animal, il m’envoie le sien par son fils. Je lui remets neuf cents piastres, je monte le cheval, et je pars. Toute la tribu semblait le voir partir avec regret : les enfants lui parlaient, les femmes le montraient du doigt, le scheik revenait sans cesse le regarder, et lui faire certains signes cabalistiques que les Arabes ont toujours la précaution de faire aux chevaux qu’ils vendent ou qu’ils achètent. L’animal lui-même semblait comprendre la séparation, et baissait tristement sa tête ombragée d’une superbe crinière, en regardant à droite et à gauche le désert d’un œil triste et inquiet. L’œil des chevaux arabes est une langue tout entière. Par leur bel œil, dont la prunelle de feu se détache du blanc large et marbré de sang de l’orbite, ils disent et comprennent tout.

J’avais cessé depuis quelques jours de monter celui de mes chevaux que je préférais à tous les autres. Par suite des innombrables superstitions arabes, il y a soixante et dix signes bons ou mauvais pour l’horoscope d’un cheval, et c’est une science que possèdent presque tous les hommes du désert. Le cheval dont je parle, et que j’avais appelé