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l’horizon un grand lac qui brille au pied des montagnes, et me raconte une histoire dont je comprends quelques mots et que mon drogman m’interprète.

Il y avait un berger qui gardait les chamelles d’un village aux bords de ce lac, dans un canton désert et inhabité de cette haute montagne. Un jour, en abreuvant son troupeau, il s’aperçut que l’eau du lac fuyait par une issue souterraine, et il la ferma avec une grosse pierre ; mais il y laissa tomber son bâton de berger. Quelque temps après, un fleuve tarit dans une des provinces de la Perse. Le sultan, voyant son pays menacé de la famine par le manque d’eau pour les irrigations, consulta les sages de son empire, et, sur leur avis, il envoya des émissaires dans tous les royaumes environnants, pour découvrir comment la source de son fleuve avait été détournée ou tarie. Ces ambassadeurs portaient le bâton du berger, que le fleuve avait apporté. Le berger se trouvait à Damas quand ces envoyés y parurent ; il se souvint de son bâton tombé dans le lac ; il s’approcha, et le reconnut entre leurs mains ; il comprit que son lac était la source du fleuve, et que la richesse et la vie d’un peuple étaient entre ses mains. « Que fera le sultan pour celui qui lui rendra son fleuve ? demanda-t-il aux envoyés. — Il lui donnera, répondirent-ils, sa fille et la moitié de son royaume. — Allez donc, répliqua-t-il ; et avant que vous soyez de retour, le fleuve perdu arrosera la Perse et réjouira le cœur du sultan. » Le berger remonta dans les montagnes, ôta la grosse pierre ; et les eaux, reprenant leur cours par ce canal souterrain, allèrent remplir de nouveau le lit du fleuve. Le sultan envoya de nouveaux ambassadeurs avec sa fille à l’heureux berger, et lui donna la moitié de ses provinces.