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fort amusé de la manière de manger des Européens. Il n’avait jamais vu aucun des ustensiles de nos tables. Il ne but point de vin, et nous n’essayâmes pas de lui faire violence. La conscience du musulman est aussi respectable que la nôtre. Faire pécher un Turc contre la loi que la religion lui impose m’a paru toujours aussi coupable, aussi absurde que de tenter un chrétien. Nous parlâmes longtemps de l’Europe, de nos coutumes, dont il paraissait grand admirateur. Il nous entretint de sa manière d’administrer son village. Sa famille gouverne depuis des siècles ce canton privilégié de l’Anti-Liban, et les perfectionnements de propriétés, d’agriculture, de police et de propreté que nous avions admirés en traversant le territoire de Zebdani, étaient dus à cette excellente race de scheiks. Il en est ainsi dans tout l’Orient. Tout est exception et anomalie. Le bien s’y perpétue sans terme comme le mal. Nous pûmes juger, par ce village enchanteur, de ce que seraient ces provinces rendues à leur fertilité naturelle.

Le scheik admira beaucoup mes armes, et surtout une paire de pistolets à piston, et déguisa mal le plaisir que lui ferait la possession de cette arme. Mais je ne pouvais pas la lui offrir : c’étaient mes pistolets de combat, que je voulais conserver jusqu’à mon retour en Europe. Je lui fis présent d’une montre en or pour sa femme. Il reçut ce cadeau avec toute la résistance polie que nous mettrions en Europe à en accepter un semblable, et affecta même d’être complétement satisfait, bien que je ne pusse douter de sa prédilection pour la paire de pistolets. On nous apporta une quantité de coussins et de tapis pour nous coucher ; nous les étendîmes dans le divan où il couchait lui-même, et nous