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m’apparut, le soleil se couchait sur la mer, et ses rayons, laissant les gorges et les ravins dans une obscurité mystérieuse, rasaient seulement les couvents, les toits des villages, les cimes des sapins, et les têtes les plus hautes des rochers qui sortent du niveau des montagnes ; les eaux, étant grandes, tombaient de toutes les corniches des deux montagnes, et jaillissaient en écume de toutes les fentes des rochers, entourant de deux larges bras d’argent ou de neige la belle plate-forme qui soutient les villages, les couvents et les bois de sapins. Leur bruit, semblable à celui des tuyaux d’orgue dans une cathédrale, résonnait de partout, et assourdissait l’oreille. J’ai rarement senti aussi profondément la beauté spéciale des vues de montagnes ; beauté triste, grave et douce, d’une tout autre nature que les beautés de la mer ou des plaines ; — beauté qui recueille le cœur, au lieu de l’ouvrir, et qui semble participer du sentiment religieux dans le malheur ; — recueillement mélancolique, — au lieu du sentiment religieux dans le bonheur : expansion, amour et joie.

À chaque pas, sur les flancs de la corniche que nous suivions, les cascades tombent sur la tête du passant, ou glissent dans les interstices des roches vives qu’elles ont creusées ; gouttières de ce toit sublime des montagnes, qui filtrent incessamment le long de ses pentes. Le temps était brumeux ; la tempête mugissait dans les sapins, et apportait, de moments en moments, des poussières de neige qui perçaient en le colorant le rayon fugitif du soleil de mars. Je me souviens de l’effet neuf et pittoresque que faisait le passage de notre caravane sur un des ravins de ces cascades. Les flancs des rochers du Liban se creusaient tout à