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Tous mes amours s’étaient noyés dans cet amour ;
Elle avait remplacé ceux que la mort retranche ;
C’était l’unique fruit demeuré sur la branche

Après les vents d’un mauvais jour.


» C’était le seul anneau de ma chaîne brisée,
Le seul coin pur et bleu dans tout mon horizon ;
Pour que son nom sonnât plus doux dans la maison,
D’un nom mélodieux nous l’avions baptisée.
C’était mon univers, mon mouvement, mon bruit,
La voix qui m’enchantait dans toutes mes demeures,
Le charme ou le souci de mes yeux, de mes heures ;

Mon matin, mon soir et ma nuit ;


» Le miroir où mon cœur s’aimait dans son image,
Le plus pur de mes jours sur ce front arrêté,
Un rayon permanent de ma félicité,
Tous tes dons rassemblés, Seigneur, sur un visage ;
Doux fardeau qu’à mon cou sa mère suspendait,
Yeux où brillaient mes yeux, âme à mon sein ravie,
Voix où vibrait ma voix, vie où vivait ma vie,

Ciel vivant qui me regardait.


» Eh bien ! prends, assouvis, implacable justice,
D’agonie et de mort ce besoin immortel ;
Moi-même je l’étends sur ton funèbre autel.
Si je l’ai tout vidé, brise enfin mon calice !
Ma fille, mon enfant, mon souffle ! la voilà !
La voilà ! J’ai coupé seulement ces deux tresses
Dont elle m’enchaînait hier dans ses caresses,

Et je n’ai gardé que cela ! »