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vers le reste du globe, et où elles reviennent sans cesse comme des enfants à leur berceau : la voilà ! chaque flot me porte vers elle ; j’y touche. Son apparition m’émeut profondément, bien moins pourtant que si tous ces souvenirs n’étaient pas flétris dans ma pensée, à force d’avoir été ressassés dans ma mémoire avant que ma pensée les comprît. La Grèce est pour moi comme un livre dont les beautés sont ternies, parce qu’on nous l’a fait lire avant de pouvoir le comprendre.

Cependant tout n’est pas désenchanté. Il y a encore à tous ces grands noms un reste d’écho dans mon cœur ; quelque chose de saint, de doux, de parfumé, monte avec ces horizons dans mon âme. Je remercie Dieu d’avoir vu, en passant sur cette terre, ce pays des faiseurs de grandes choses, comme Épaminondas appelait sa patrie.

Pendant toute ma jeunesse j’ai désiré faire ce que je fais, voir ce que je vois. Un désir enfin satisfait est un bonheur. J’éprouve, à l’aspect de ces horizons tant rêvés, ce que j’ai éprouvé toute ma vie dans la possession de tout ce que j’ai vivement désiré : un plaisir calme et contemplatif qui se replie sur lui-même, un repos de l’esprit et de l’âme qui s’arrêtent un moment, qui se disent : « Faisons halte ici, et jouissons ! » Mais au fond ces bonheurs de l’esprit et de l’imagination sont bien froids. Ce n’est pas là du bonheur de l’âme ; celui-là n’est que dans l’amour humain ou divin, mais toujours dans l’amour.