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garder en vain de loin la côte vaporeuse d’Afrique  : le soir, un fort coup de vent s’éleva ; le navire, ballotté d’un flanc à l’autre, écrasé sous les voiles semblables aux ailes, cassées par le plomb, d’un oiseau de mer, nous secouait dans ses flancs avec ce terrible mugissement d’un édifice qui s’écroule. Je passe la nuit sur le pont, le bras passé autour d’un câble ; des nuages blanchâtres qui se pressent comme une haute montagne dans le golfe profond de Tunis, jaillissent des éclairs et sortent les coups lointains de la foudre. L’Afrique m’apparaît comme je me la représentais toujours, ses flancs déchirés par les feux du ciel, et ses sommets calcinés dérobés sous les nuages. À mesure que nous approchons et que le cap de Byserte, puis le cap de Carthage, se détachent de l’obscurité, et semblent venir au-devant de nous, toutes les grandes images, tous les noms fabuleux ou héroïques qui ont retenti sur ce rivage, sortent aussi de ma mémoire, et me rappellent les drames poétiques ou historiques dont ces lieux furent successivement le théâtre. Virgile, comme tous les poëtes qui veulent faire mieux que la vérité, l’histoire et la nature, a bien plutôt gâté qu’embelli l’image de Didon. — La Didon historique, veuve de Sychée, et fidèle aux mânes de son premier époux, fait dresser son bûcher sur le cap de Carthage, et y monte, sublime et volontaire victime d’un amour pur et d’une fidélité même à la mort. Cela est un peu plus beau, un peu plus saint, un peu plus pathétique, que les froides galanteries que le poëte romain lui prête avec son ridicule et pieux Énée, et son désespoir amoureux, auquel le lecteur ne peut sympathiser.

Mais l’Anna soror, et le magnifique adieu et l’immortelle