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qui n’ont plus pour phare que la Providence, pour asile que la main invisible qui les soutient sur les flots. Si la prière n’était pas née avec l’homme même, c’est là qu’elle eût été inventée par des hommes seuls avec leurs pensées et leurs faiblesses, en présence de l’abîme du ciel où se perdent leurs regards, de l’abîme des mers dont une planche fragile les sépare ; au mugissement de l’Océan qui gronde, siffle, hurle, mugit comme les voix de mille bêtes féroces ; aux coups du vent qui fait rendre un son aigu à chaque cordage ; aux approches de la nuit qui grossit tous les périls et multiplie toutes les terreurs. Mais la prière ne fut jamais inventée ; elle naquit du premier soupir, de la première joie, de la première peine du cœur humain, ou plutôt l’homme ne naquit que pour la prière : glorifier Dieu ou l’implorer, ce fut sa seule mission ici-bas ; tout le reste périt avant lui ou avec lui ; mais le cri de gloire, d’admiration ou d’amour qu’il élève vers son créateur, en passant sur la terre, ne périt pas ; il remonte, il retentit d’âge en âge à l’oreille de Dieu, comme l’écho de sa propre voix, comme un reflet de sa magnificence ; il est la seule chose qui soit complétement divine en l’homme, et qu’il puisse exhaler avec joie et avec orgueil, car cet orgueil est un hommage à celui-là seul qui peut en avoir, à l’Être infini.

À peine avions-nous roulé ces pensées ou d’autres pensées semblables, chacun dans notre silence, qu’un cri de Julia s’éleva au bord du vaisseau qui regardait l’orient. Un incendie sur la mer ! un navire en feu ! Nous nous précipitâmes pour voir ce feu lointain sur les flots. En effet, un large charbon de feu flottait à l’orient sur l’extrémité de l’horizon de la mer ; puis, s’élevant et s’arrondissant en peu