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brise sans cesse ; et de la lame qui arrive avec un bruit alternatif et sourd contre les rochers, s’élancent comme des langues d’écume blanche qui vont lécher les bords salés. Ces morceaux entassés de montagnes (car ils sont trop grands pour qu’on les appelle rochers) sont jetés et pilés avec une telle confusion les uns sur les autres, qu’ils forment une quantité innombrable d’anses étroites, de voûtes profondes, de grottes sonores, de cavités sombres, dont les enfants de deux ou trois cabanes de pêcheurs du voisinage connaissent seuls les routes, les sinuosités et les issues. Une de ces cavernes, dans laquelle on pénètre par l’arche surbaissée d’un pont naturel, couvert d’un énorme bloc de granit, donne accès à la mer, et s’ouvre ensuite sur une étroite et obscure vallée, que la mer remplit tout entière de ses flots limpides et aplanis comme le firmament dans une belle nuit. C’est une calangue connue des pêcheurs, où, pendant que la vague mugit et écume au dehors, en ébranlant de son choc les flancs de la côte, les plus petites barques sont à l’abri ; on y aperçoit à peine ce léger bouillonnement d’une source qui tombe dans une nappe d’eau. La mer y conserve cette belle couleur d’un jaune verdâtre et moiré, que voit si bien l’œil des peintres de marine, mais qu’ils ne peuvent jamais rendre exactement, car l’œil voit plus que la main ne peut imiter.

Sur les deux flancs de cette vallée marine montent à perte de vue deux murailles de rochers presque à pic, sombres et d’une couleur uniforme, pareille à celle du mâchefer quelque temps après qu’il est tombé dans la fournaise. Aucune plante, aucune mousse n’y trouve même une fente pour se suspendre et s’enraciner, pour y faire flotter ces guir-