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d’environ trente ans, est le plus beau des Arabes, et peut-être des hommes que j’aie vus en ma vie. La force, la grâce, l’intelligence et la douceur sont fondues avec une telle harmonie dans ses traits, et brillent à la fois dans son œil bleu avec une si attrayante évidence, que nous restâmes tous frappés de son aspect. C’est un Samaritain. Le gouverneur de Jérusalem, son père, est le plus puissant des Arabes de Naplouse. Persécuté par Abdalla, pacha d’Acre, et souvent en guerre avec lui pendant la domination des Turcs, il avait été forcé de se réfugier, avec sa famille, dans les montagnes au delà de la mer Morte ; la victoire d’Ibrahim-Pacha sur Abdalla l’avait ramené dans sa patrie. Il y avait retrouvé ses richesses et son influence ; il avait chassé ses ennemis du pays, et le pacha d’Égypte, pour suppléer à l’insuffisance de ses troupes égyptiennes en Judée, lui avait confié le gouvernement de Samarie et de Jérusalem. Il n’avait d’autres troupes que quelques centaines de cavaliers de sa tribu, à l’aide desquels il maintenait l’ordre et la domination d’Ibrahim sur toutes les populations d’alentour. Nous entrâmes dans le divan, grande salle sans aucun ornement que quelques tapis sur des nattes, des pipes et des tasses de café sur le sol. Le gouverneur, entouré d’un grand nombre d’esclaves, d’Arabes armés, et de quelques secrétaires à genoux, écrivant sur leurs mains, était occupé à rendre la justice et à expédier ses ordres. Il se leva à notre approche, et vint au-devant de nous. Il fit enlever les tapis du divan, susceptibles de donner la peste, et y fit substituer des nattes d’Égypte, qui ne la communiquent pas. Nous nous assîmes. On nous présenta les pipes et le café. Mon drogman lui fit en mon nom les compliments d’usage, et je le remerciai moi-même de tous les soins qu’il avait bien