Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 6.djvu/431

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tant sur leurs têtes un panier de raisins d’Engaddi, ou une corbeille de colombes qu’elles vont vendre le matin, sous les térébinthes, hors des portes de la ville.

Nous fûmes assis tout le jour en face des portes principales de Jérusalem ; nous fîmes le tour des murs, en passant devant toutes les autres portes de la ville. Personne n’entrait, personne ne sortait ; le mendiant même n’était pas assis contre les bornes, la sentinelle ne se montrait pas sur le seuil ; nous ne vîmes rien, nous n’entendîmes rien ; le même vide, le même silence à l’entrée d’une ville de trente mille âmes, pendant les douze heures du jour, que si nous eussions passé devant les portes mortes de Pompéi ou d’Herculanum ! Nous ne vîmes que quatre convois funèbres sortir en silence de la porte de Damas, et s’acheminer le long des murs vers les cimetières turcs ; et de la porte de Sion, lorsque nous y passâmes, qu’un pauvre chrétien mort de la peste le matin, et que quatre fossoyeurs emportaient au cimetière des Grecs. Ils passèrent près de nous, étendirent le corps du pestiféré sur la terre, enveloppé de ses habits, et se mirent à creuser en silence son dernier lit, sous les pieds de nos chevaux. La terre autour de la ville était fraîchement remuée par de semblables sépultures que la peste multipliait chaque jour, et le seul bruit sensible, hors des murailles de Jérusalem, était la complainte monotone des femmes turques qui pleuraient leurs morts. Je ne sais si la peste était la seule cause de la nudité des chemins et du silence profond autour de Jérusalem et dedans. Je ne le crois pas, car les Turcs et les Arabes ne se détournent pas des fléaux de Dieu, convaincus qu’ils peuvent les atteindre partout, et qu’aucune route ne leur échappe. — Sublime