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de l’homme est plus vraie qu’on ne le pense ; elle ne bâtit pas toujours avec des rêves, mais elle procède par des assimilations instinctives de choses et d’images qui lui donnent des résultats plus sûrs et plus évidents que la science et la logique. Excepté les vallées du Liban, les ruines de Balbek, les rives du Bosphore à Constantinople, et le premier aspect de Damas du haut de l’Anti-Liban, je n’ai presque jamais rencontré un lieu et une chose dont la première vue ne fût pour moi comme un souvenir. Avons-nous vécu deux fois ou mille fois ? notre mémoire n’est-elle qu’une glace ternie que le souffle de Dieu ravive ? ou bien avons-nous, dans notre imagination, la puissance de pressentir et de voir avant que nous voyions réellement ? Questions insolubles !

À deux heures après midi, nous descendons les pentes escarpées de la vallée de Térébinthe, nous passons à sec le lit du torrent, et nous montons, par des escaliers taillés dans le roc, au village arabe de Saint-Jean-Baptiste, que nous apercevons devant nous.

Des Arabes à la physionomie féroce nous regardent du haut des terrasses de leurs maisons ; les enfants et les femmes se pressent autour de nous dans les rues étroites du village ; les religieux, épouvantés du tumulte qu’ils voient du haut de leur toit, du nombre de nos chevaux et de nos hommes, et de la peste que nous leur apportons, refusent d’ouvrir les portes de fer du monastère. Nous revenons sur nos pas, pour aller camper sur une colline voisine du village ; nous maudissons la dureté de cœur des moines ; j’envoie mon drogman parlementer encore avec eux et leur