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péril, soit qu’il l’ignore, soit qu’il le brave. J’ai admiré, du haut d’une de ces collines, le coup d’œil pittoresque de notre camp, avec nos piquets de cavaliers arabes sur le mamelon, nos chevaux attachés çà et là autour de nos tentes, nos moukres assis à terre et occupés à nettoyer nos harnais et nos armes, et la flamme de notre feu perçant à travers la toile d’une de nos tentes, et répandant sa légère fumée bleue en colonne que le vent inclinait. Combien j’aimerais cette vie nomade sous un pareil ciel, si l’on pouvait conduire avec soi tous ceux qu’on aime et qu’on regrette sur la terre ! La terre entière appartient aux peuples pasteurs et errants comme les Arabes de Mésopotamie. Il y a plus de poésie dans une de leurs journées que dans des années entières de nos vies de cités. En demandant trop de choses à la vie civilisée, l’homme se cloue lui-même à la terre ; il ne peut s’en détacher sans perdre ces innombrables superfluités dont l’usage lui a fait des besoins. Nos maisons sont des prisons volontaires. Je voudrais que la vie fût un voyage sans fin, comme celui-ci ; et si je ne tenais à l’Europe par des affections, je le continuerais tant que mes forces et ma fortune le comporteraient.

Nous étions là sur les confins des tribus d’Éphraïm et de Benjamin. Le puits près duquel nos tentes étaient dressées s’appelle encore le Puits de Job.

Nous partons avant le jour ; nous suivons, pendant deux heures, une vallée étroite, stérile et rocailleuse, célèbre par les déprédations des Arabes. C’est le lieu des environs le plus exposé à leurs courses : ils peuvent y arriver par une multitude de petites vallées sinueuses, cachées par le dos