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tante, avec deux voiles seulement, deux hautes voiles montant comme deux bornes, deux pyramides du désert, dans ce lointain sans horizon.

La vague caressait doucement les flancs épais et arrondis de mon brick, et babillait gracieusement sous mon étroite fenêtre, où l’écume s’élevait quelquefois en légères guirlandes blanches : c’était le bruit inégal, varié, confus, du gazouillement des hirondelles sur une montagne, quand le soleil se lève au-dessus d’un champ de blé. Il y a des harmonies entre tous les éléments, comme il y en a une générale entre la nature matérielle et la nature intellectuelle. Chaque pensée a son reflet dans un objet visible qui la répète comme un écho, la réfléchit comme un miroir, et la rend perceptible de deux manières : aux sens par l’image, à la pensée par la pensée ; c’est la poésie infinie de la double création ! les hommes appellent cela comparaison : la comparaison, c’est le génie. La création n’est qu’une pensée sous mille formes. Comparer, c’est l’art ou l’instinct de découvrir des mots de plus dans cette langue divine des analogies universelles que Dieu seul possède, mais dont il permet à certains hommes de découvrir quelque chose. Voilà pourquoi le prophète, poëte sacré, et le poëte, prophète profane, furent jadis et partout regardés comme des êtres divins. On les regarde aujourd’hui comme des êtres insensés ou tout au moins inutiles cela est logique. Si vous comptez pour tout le monde matériel et palpable, cette partie de la nature qui se résout en chiffres, en étendue, en argent ou en voluptés physiques, vous faites bien de mépriser ces hommes qui ne conservent que le culte du beau moral, l’idée de Dieu, et cette langue des images, des rap-