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projet presque accompli ; que la vie d’un homme n’était qu’une goutte d’eau dans la mer, un grain de sable dans le désert, et ne valait pas la peine d’être comptée ; que d’ailleurs ce qui était écrit était écrit, et que si Allah voulait me garder de la peste au milieu des pestiférés de Judée, cela lui était aussi aisé que de me garder de la vague au milieu de la tempête, ou des balles des Arabes sur les bords du Jourdain : qu’en conséquence je persistais à vouloir pénétrer dans l’intérieur et entrer même à Jérusalem, quel qu’en fût le péril pour moi ; mais que ce que je pouvais décider de moi, je ne pouvais et ne voulais le décider des autres, et que je laissais tous mes amis, tous mes serviteurs, tous les Arabes qui m’accompagnaient, maîtres de me suivre ou de rester à Jaffa, selon la pensée de leurs cœurs.

Le gouverneur alors se récria sur ma soumission à la volonté d’Allah, me dit qu’il ne souffrirait pas que je m’exposasse seul aux dangers de la route et de la peste, et qu’il allait faire choisir, dans les troupes en garnison à Jaffa, quelques soldats courageux et disciplinés qu’il mettrait entièrement sous mon commandement, et qui garderaient ma caravane pendant la marche et mes tentes pendant la nuit, pour nous préserver du contact avec les pestiférés. Il dépêcha aussi à l’instant même un cavalier au gouverneur de Jérusalem, son ami, pour lui annoncer mon voyage et me recommander à lui, et il se retira. Nous délibérâmes alors, mes amis et moi ; nos domestiques même furent appelés à ce conseil sur ce que chacun de nous voulait faire. Après quelques hésitations, tous résolurent à l’unanimité de tenter la fortune et de courir la chance de la peste, plutôt que de renoncer à voir Jérusalem. Le départ fut arrêté pour le sur-