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mières branches de lilas de Perse qui pendent en grappes au printemps n’ont pas une teinte violette plus fraîche et plus nuancée que ces montagnes à l’heure où je les contemple. À mesure que la lune monte et s’en approche, leur nuance s’assombrit et devient plus pourpre ; les formes en paraissent mobiles comme celles des grandes vagues qu’on voit par un beau coucher du soleil en pleine mer. Toutes ces montagnes ont de plus un nom et un récit dans la première histoire que nos yeux d’enfants ont lue sur les genoux de notre mère. Je sais que la Judée est là, avec ses prodiges et ses ruines ; que Jérusalem est assise derrière un de ces mamelons ; que je n’en suis plus séparé que par quelques heures de marche ; que je touche ainsi à un des termes les plus désirés de mon long voyage. Je jouis de cette pensée, comme l’homme jouit toujours toutes les fois qu’il touche à un des buts, même insignifiants, qu’une passion quelconque lui a assignés ; je reste une ou deux heures à graver ces lignes, ces couleurs, ce ciel transparent et rosé, cette solitude, ce silence, dans mon souvenir.

L’humidité de la nuit tombe, et mouille mon manteau ; je rentre dans la tente, et je m’endors. Il y avait à peine une heure que j’étais endormi, quand je fus réveillé par un léger bruit ; je me soulève sur le coude, et je regarde autour de moi. Un des coins du rideau de la tente était relevé pour laisser entrer la brise de la nuit ; la lune éclairait en plein l’intérieur ; je vois un énorme chacal qui entrait avec précaution, et regardait de mon côté avec ses yeux de feu ; je saisis mon fusil, le mouvement l’effraye, il part au galop. Je me rendors. Réveillé une seconde fois, je vois le chacal à mes pieds, fouillant du museau les plis de mon manteau,