Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 6.djvu/360

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

L’endroit était admirablement choisi, et la voix du vieux prophète, maître de toute une innombrable génération de prophètes, devait majestueusement retentir dans le sein creusé de la montagne qu’il sillonnait de tant de prodiges, et à laquelle il a laissé son nom. L’histoire d’Élie est une des plus merveilleuses histoires de l’antiquité sacrée : c’est le géant des bardes sacrés. À lire sa vie et ses terribles vengeances, il semble que cet homme avait la foudre du Seigneur pour âme, et que l’élément sur lequel il fut enlevé au ciel était son élément natal. C’est une belle figure lyrique ou épique à jeter dans le poëme des vieux mystères de la civilisation judaïque. En tout, l’époque des prophètes, à la considérer historiquement, est une des époques les moins intelligibles de la vie de ce peuple fugitif. On aperçoit cependant, et surtout dans l’époque d’Élie, la clef de cette singulière organisation du corps des prophètes. C’était évidemment une classe sainte et lettrée, toujours en opposition avec les rois ; tribuns sacrés du peuple, le soulevant ou l’apaisant avec des chants, des paraboles, des menaces ; formant des factions dans Israël, comme la parole et la presse en forment parmi nous ; se combattant les uns les autres, d’abord avec le glaive de leur parole, puis avec la lapidation ou l’épée ; s’exterminant de la face de la terre, comme on voit Élie en exterminer par centaines ; puis succombant eux-mêmes à leur tour, et faisant place à d’autres dominateurs du peuple. Jamais la poésie proprement dite n’a joué un si grand rôle dans le drame politique, dans les destinées de la civilisation. La raison ou la passion, selon qu’ils étaient faux ou vrais prophètes, ne parlait, par leur bouche, que la langue énergique et harmonieuse des images. Il n’y avait point d’orateurs comme à Athènes ou à Rome ;