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Même jour, à trois heures, en mer.


Le vent d’est, qui nous dispute le chemin, a soufflé avec plus de force ; la mer a monté et blanchi ; le capitaine déclare qu’il faut regagner la côte, et mouiller dans une baie à deux heures de Marseille. Nous y sommes ; la vague nous berce doucement ; la mer parle, comme disent les matelots ; on entend venir de loin un murmure semblable à ce bruit qui sort des grandes villes : cette parole menaçante de la mer, la première que nous entendons, retentit avec solennité dans l’oreille et dans la poitrine de ceux qui vont lui parler de si près pendant si longtemps.

À notre gauche, nous voyons les îles de Pomègue et le château d’If, vieux fort avec des tours rondes et grises qui couronnent un rocher nu et ardoisé ; en face, sur la côte élevée et entrecoupée de rochers blanchâtres, de nombreuses maisons de campagne dont les jardins, entourés de murs, ne laissent apercevoir que les sommités des arbustes ou les arceaux verts des treilles ; à environ un mille plus loin dans les terres, sur un mamelon isolé et dépouillé, s’élèvent le fort et la chapelle de Notre-Dame de la Garde, pèlerinage des marins provençaux avant le départ et au retour de tous leurs voyages. Ce matin, à notre insu, à l’heure même où le vent entrait dans nos voiles, une femme de Marseille, accompagnée de ses enfants, a devancé le jour, et est allée prier pour nous au sommet de cette montagne, d’où son re-