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Regarde ! citoyens, rois, soldat ou tribun,
Dieu met la main sur tous et n’en choisit pas un ;
Et le pouvoir, rapide et brûlant météore,
En tombant sur nos fronts, nous juge et nous dévore.
C’en est fait : la parole a soufflé sur les mers,
Le chaos bout, et couve un second univers ;
Et pour le genre humain, que le sceptre abandonne,
Le salut est dans tous, et n’est plus dans personne !
À l’immense roulis d’un océan nouveau,
Aux oscillations du ciel et du vaisseau,
Aux gigantesques flots qui croulent sur nos têtes,
On sent que l’homme aussi double un cap des Tempêtes,
Et passe, sous la foudre et dans l’obscurité,
Le tropique orageux d’une autre humanité !


Je relus ces vers comme s’ils eussent été d’un autre, tant je les avais complètement effacés de ma mémoire. Je fus frappé de nouveau de ce sentiment qui me les avait inspirés ailleurs ; de ce sentiment du tremblement général des choses, du vertige, de l’éblouissement universel de l’esprit humain, qui court avec trop de rapidité pour se rendre compte de sa marche même, mais qui a l’instinct d’un but nouveau, inconnu, où Dieu le mène par la voie rude et précipiteuse des catastrophes sociales. J’admirai aussi cette puissance merveilleuse de la locomotion de la pensée humaine, de la presse et du journalisme, par lesquels une pensée qui m’était venue au front six mois auparavant, dans un bois de Saint-Point, venait me retrouver comme une fille qui cherche son père, et frapper les vieux échos des rochers de Nazareth des sons d’une langue jeune et déjà universelle.