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Au reste, ce que j’écris ici de la dimension du Jourdain n’a pour objet que de satisfaire la curiosité des personnes qui veulent se faire des mesures justes et exactes des images mêmes de leurs pensées, et non de prêter des armes aux ennemis ou aux défenseurs de la foi chrétienne, armes pitoyables des deux parts. Qu’importe que le Jourdain soit un torrent ou un fleuve ? que la Judée soit un monceau de roches stériles ou un jardin délicieux ? que telle montagne ne soit qu’une colline, et tel royaume une province ? Ces hommes qui s’acharnent, se combattent sur de pareilles questions, sont aussi insensés que ceux qui croient avoir renversé une croyance de deux mille ans, quand ils ont laborieusement cherché à donner un démenti à la Bible et un soufflet aux prophéties. Ne croirait-on pas, à voir ces grands combats sur un mot mal compris ou mal interprété des deux parts, que les religions sont des choses géométriques que l’on démontre par un chiffre ou que l’on détruit par un argument ; et que des générations de croyants ou d’incrédules sont là toutes prêtes à attendre la fin de la discussion, et à passer immédiatement dans le parti du meilleur logicien et de l’antiquaire le plus érudit et le plus ingénieux ? Stériles disputes qui ne pervertissent et ne convertissent personne ! Les religions ne se prouvent pas, ne se démontrent pas, ne s’établissent pas, ne se ruinent pas par de la logique : elles sont, de tous les mystères de la nature et de l’esprit humain, le plus mystérieux et le plus inexplicable ; elles sont d’instinct et non de raisonnement. Comme les vents qui soufflent de l’orient ou de l’occident, mais dont personne ne connaît la cause ni le point de départ, elles soufflent, Dieu seul sait d’où, Dieu seul sait pourquoi, Dieu seul sait pour combien de siècles et sur quelles contrées du