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esprit ; et il me fallait un effort de ma raison pour ne pas voir, derrière les cinq aigles gigantesques, la grande et terrible figure du poëte des vengeances, d’Ézéchiel, s’élevant au-dessus d’eux, et leur montrant de l’œil et du doigt la ville que Dieu leur donnait à dévorer, pendant que le vent de la colère divine agitait les flots de sa barbe blanche, et que le feu du courroux céleste brillait dans ses yeux de prophète. Nous nous arrêtâmes à quarante pas : les aigles ne firent que tourner dédaigneusement la tête pour nous regarder aussi : enfin, deux d’entre nous se détachèrent de la caravane et coururent au galop, leurs fusils à la main, jusqu’au pied même du rocher ; ils ne fuirent pas encore. — Quelques coups de fusil à balle les firent s’envoler lourdement ; mais ils revinrent d’eux-mêmes au feu, et planèrent longtemps sur nos têtes sans être atteints par nos balles, comme s’ils nous avaient dit : « Vous ne nous pouvez rien, nous sommes les aigles de Dieu. »

Je reconnus alors que l’imagination poétique m’avait révélé les aigles de Tyr moins vrais, moins beaux et moins surnaturels encore qu’ils n’étaient, et qu’il y a dans le mens divinior des poëtes, même les plus obscurs, quelque chose de cet instinct divinateur et prophétique qui dit la vérité sans la savoir.

Nous arrivâmes à midi, après une marche de sept heures, au milieu de la plaine de Tyr, à un endroit nommé les Puits de Salomon : tous les voyageurs les ont décrits. Ce sont trois réservoirs d’eau limpide et courante qui sort, comme par enchantement, d’une terre basse, sèche et aride, à deux milles de Tyr ; chacun de ces réservoirs, élevé artificielle-