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pétrir dans mes mains un peu de cette terre qui fut la terre de notre première famille, la terre des prodiges ; de voir, de parcourir cette scène évangélique, où se passa le grand drame d’une sagesse divine aux prises avec l’erreur et la perversité humaines ; où la vérité morale se fit martyre pour féconder de son sang une civilisation plus parfaite ! Et puis j’étais, j’avais été, presque toujours, chrétien par le cœur et par l’imagination ; ma mère m’avait fait tel : j’avais quelquefois cessé de l’être, dans les jours les moins bons et les moins purs de ma première jeunesse ; le malheur et l’amour, l’amour complet qui purifie tout ce qu’il brûle, m’avaient également repoussé plus tard dans ce premier asile de mes pensées, dans ces consolations du cœur qu’on redemande à ses souvenirs et à ses espérances, quand tout le bruit du cœur tombe au dedans de nous, quand tout le vide de la vie nous apparaît après une passion éteinte, ou une mort qui ne nous laisse rien à aimer ! Ce christianisme de sentiment était redevenu une douce habitude de ma pensée ; je m’étais dit souvent à moi-même : « Où est la vérité parfaite, évidente, incontestable ? Si elle est quelque part, c’est dans le cœur, c’est dans l’évidence sentie, contre laquelle il n’y a pas de raisonnement qui prévale. Mais la vérité de l’esprit n’est complète nulle part ; elle est avec Dieu, et non avec nous ; notre œil est trop étroit pour en absorber un seul rayon ; toute vérité, pour nous, n’est que relative ; ce qui sera le plus utile aux hommes sera donc le plus vrai aussi ; la doctrine la plus féconde en vertus divines sera donc celle qui contiendra le plus de vérités divines, car ce qui est bon est vrai. » Toute ma logique religieuse était là ; ma philosophie ne montait pas plus haut ; elle m’interdisait les doutes, les dialogues interminables de la raison avec elle-même ; elle