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fait semblables à celles qu’un homme impressionnable aurait pu faire à l’aspect d’un objet imprévu et inquiétant. Notre langue surtout les frappait et les étonnait vivement ; et le mouvement de leurs oreilles dressées et renversées en arrière, ou tendues en avant, témoignait de leur surprise et de leur inquiétude : j’admirais surtout plusieurs juments sans prix, réservées pour l’émir lui-même. Je fis proposer par mon drogman, à l’écuyer, jusqu’à dix mille piastres d’une des plus jolies ; mais à aucun prix on ne décide un Arabe à se défaire d’une jument de premier sang, et je ne pus rien acheter cette fois.

Nous rentrâmes à la fin du jour dans notre appartement, et l’on nous apporta un souper semblable au dîner. Plusieurs officiers de l’émir vinrent nous rendre visite de sa part. M. Bertrand, son premier médecin, passa la soirée avec nous. Nous pûmes causer, grâce à un peu d’italien et de français qu’il avait conservé, du souvenir de sa famille. Il nous donna tous les renseignements les plus intéressants sur la vie intérieure de l’émir des Druzes. Ce prince, quoique âgé de soixante-douze ans, ayant perdu récemment sa première femme, à qui il devait toute sa fortune, venait de se remarier. Nous regrettâmes de n’avoir pas pu apercevoir sa nouvelle femme : elle est, dit-on, remarquablement belle. Elle n’a que quinze ans ; c’est une esclave circassienne que l’émir a envoyé acheter à Constantinople, et qu’il a fait chrétienne avant de l’épouser ; car l’émir Beschir est lui-même chrétien et même catholique, ou plutôt il est comme la loi dans tous les pays de tolérance, il est de tous les cultes officiels de son pays ; musulman pour les musulmans, Druze pour les Druzes, chrétien pour les chrétiens. Il y a chez lui