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faveur dont elle est si avare. — Elle y consentit enfin, et nous rentrâmes tous trois pour passer la soirée ou la nuit dans le petit salon que j’ai déjà dépeint. Le café et les pipes reparurent avec la profusion orientale ; et le salon fut bientôt rempli d’un tel nuage de fumée, que la figure de lady Stanhope ne nous apparaissait plus qu’à travers une atmosphère semblable à l’atmosphère magique des évocations. Elle causa avec la même force, la même grâce, la même abondance, mais infiniment moins de surnaturel, sur des sujets moins sacrés pour elle, qu’elle ne l’avait fait avec moi seul dans tout le cours de la journée. « J’espère, me dit-elle tout à coup, que vous êtes aristocrate : je n’en doute pas en vous voyant. — Vous vous trompez, Milady, lui dis-je. Je ne suis ni aristocrate ni démocrate ; j’ai assez vécu pour voir les deux revers de la médaille de l’humanité, et pour les trouver aussi creux l’un que l’autre. Je ne suis ni aristocrate ni démocrate : je suis homme, et partisan exclusif de ce qui peut améliorer et perfectionner l’homme tout entier, qu’il soit né au sommet ou au pied de l’échelle sociale ! Je ne suis ni pour le peuple ni pour les grands, mais pour l’humanité tout entière ; et je ne crois ni aux institutions aristocratiques ni aux institutions démocratiques la vertu exclusive de perfectionner l’humanité ; cette vertu n’est que dans une morale divine, fruit d’une religion parfaite : la civilisation des peuples, c’est leur foi ! — Cela est vrai, répondit-elle ; mais cependant je suis aristocrate malgré moi ; et vous conviendrez, ajouta-t-elle, que s’il y a des vices dans l’aristocratie, au moins il y a de hautes vertus à côté pour les racheter et les compenser ; tandis que dans la démocratie je vois bien les vices, et les vices les plus bas et les plus envieux, mais je cherche en vain les