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la juger ni la classer d’un mot ; c’est une statue à immenses dimensions ; — on ne peut la juger qu’à son point de vue. Je ne serais pas surpris qu’un jour prochain réalisât une partie de la destinée qu’elle se promet à elle-même : un empire dans l’Arabie, un trône dans Jérusalem ! — La moindre commotion politique dans la région de l’Orient qu’elle habite pourrait la soulever jusque-là. « Je n’ai à ce sujet, lui dis-je, qu’un reproche à faire à votre génie : c’est celui d’avoir été trop timide avec les événements, et de n’avoir pas encore poussé votre fortune jusqu’où elle pouvait vous conduire. — Vous parlez, me dit-elle, comme un homme qui croit encore trop à la volonté humaine, et pas assez à l’irrésistible empire de la destinée seule. Ma force à moi est en elle. — Je l’attends, je ne l’appelle pas. Je vieillis, j’ai diminué de beaucoup ma fortune ; je suis maintenant seule et abandonnée à moi-même sur ce rocher désert, en proie au premier audacieux qui voudrait forcer mes portes, entourée d’une bande de domestiques infidèles et d’esclaves ingrats, qui me dépouillent tous les jours et menacent quelquefois ma vie : dernièrement encore, je n’ai dû mon salut qu’à ce poignard, dont j’ai été forcée de me servir pour défendre ma poitrine contre celui d’un esclave noir que j’ai élevé. Eh bien, au milieu de toutes ces tribulations, je suis heureuse ; je réponds à tout par le mot sacré des musulmans : Allah kerim ! La volonté de Dieu ! et j’attends avec confiance l’avenir dont je vous ai parlé, et dont je voudrais vous inspirer à vous-même la certitude que vous devez en avoir. »

Après avoir fumé plusieurs pipes, bu plusieurs tasses de café, que les esclaves nègres apportaient de quart d’heure