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Après une vie errante dans toutes les contrées de l’Orient, lady Esther Stanhope se fixa enfin dans une solitude presque inaccessible, sur une des montagnes du Liban voisine de Saïde, l’antique Sidon. Le pacha de Saint-Jean d’Acre, Abdala-Pacha, qui avait pour elle un grand respect et un dévouement absolu, lui concéda les restes d’un couvent et le village de Dgioun, peuplé par les Druzes. Elle y bâtit plusieurs maisons, entourées d’un mur d’enceinte semblable à nos fortifications du moyen âge : elle y créa artificiellement un jardin charmant à la mode des Turcs ; jardin de fleurs et de fruits, berceaux de vignes, kiosques enrichis de sculptures et de peintures arabesques, eaux courantes dans des rigoles de marbre, jets d’eau au milieu des pavés des kiosques, voûte d’orangers, de figuiers et de citronniers. Là, lady Stanhope vécut plusieurs années dans un luxe tout à fait oriental, entourée d’un grand nombre de drogmans européens ou arabes, d’une suite nombreuse de femmes, d’esclaves noirs, et dans des rapports d’amitié et même de politique soutenus avec la Porte, avec Abdala-Pacha, avec l’émir Beschir, souverain du Liban, et surtout avec des scheiks arabes des déserts de Syrie et de Bagdhad.

Bientôt sa fortune, considérable encore, diminua par le dérangement de ses affaires, qui souffraient de son absence ; et elle se trouva réduite à trente ou quarante mille francs de rente, qui suffisent encore dans ce pays-là au train que lady Stanhope est obligée de conserver. Cependant les personnes qui l’avaient accompagnée d’Europe moururent ou s’éloignèrent ; l’amitié des Arabes, qu’il faut entretenir sans cesse par des présents et des prestiges, s’attiédit : les rapports devinrent moins fréquents, et lady Esther tomba dans le