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monde : elle appartient à un riche négociant turc, à qui j’ai fait proposer de me la céder. Il n’a pas voulu me la louer, mais il m’a offert de me la vendre pour trente mille piastres, c’est-à-dire pour environ dix mille francs. Elle s’élève au milieu d’un jardin très-vaste, planté de cèdres, d’orangers, de vignes, de figuiers, et arrosé par une belle fontaine d’eau de roche ; la mer l’entoure de deux côtés, et l’écume vient baigner le pied des murs. Toute la belle rade de Bayruth s’étend devant vous avec ses navires à l’ancre, dont on entend de là le bruit du vent dans les cordages ; elle est arrêtée par un vieux château moresque qui s’avance dans la mer, qui est joint à de belles pelouses vertes par des ponts, et dont les créneaux élevés se dessinent en sombre sur le fond des neiges du Sannin, laissant voir dans leurs intervalles les sentinelles d’Ibrahim qui se promènent en regardant la mer.

La maison est beaucoup plus belle que celle que je viens de louer. Tous les murs sont revêtus de marbres admirablement sculptés, ou de boiseries de cèdre du plus riche travail ; des jets d’eau éternels murmurent au milieu des pièces du rez-de-chaussée, et des balcons grillés et saillants, qui font le tour des étages supérieurs, permettent aux femmes de passer, sans être vues, les jours et les nuits en plein air, et d’enivrer leurs regards du spectacle admirable de la mer, des montagnes, et des scènes animées du port. Ce Turc m’a très-bien reçu ; il m’a prodigué les sorbets, les pipes et le café, et m’a conduit lui-même dans toutes les pièces de sa maison. Il avait préalablement envoyé un eunuque noir avertir ses femmes de se retirer dans un pavillon du jardin ; mais lorsque nous arrivâmes à leur appartement au harem,